Nous vous proposons aujourd’hui la traduction d’une interview édifiante publiée le 14 juin 2012 sur le site web du quotidien espagnol « el Periodico ». Dans un premier temps, nous apporterons un éclairage sur le contexte des faits puis nous passerons dans un second temps à l’interview. Préparez-vous à entrer dans un monde où l’absence de scrupules fait loi.
Contexte
Ancienne femme de ménage, Ana María de la Torre a été très gravement intoxiquée en 1999 suite à la fumigation de son lieu de travail, l’hôtel Hilton de Barcelone (totalisant 5 étoiles). Afin d’éliminer les punaises de lit qui pullulaient dans l’établissement, la direction a fait appel à une entreprise qui a eu recours pour cela à un cocktail de 17 Pyrèthrinoïdes et d’Organophosphates. Essayons d’apporter un éclairage.
Explication
Les Pyrèthrinoïdes sont des produits chimiques de synthèse toujours utilisés lors des fumigations par les exterminateurs de punaises de lit. Foncièrement toxiques, ils ne sont pas à confondre avec les pyréthrines naturelles, lesquelles, issues du Pyrèthre de Dalmatie, sont appelées Pyréthroïdes et sont totalement écologiques (lisez notre section sur le pyrèthre végétal). Pour argumenter sur la toxicité des Pyrèthrinoïdes, nous vous invitons à lire la thèse vétérinaire de Damien Delhaye intitulée « Effets indésirables et intoxications dus à l’utilisation de médicaments à base de Permethrine chez le chat. Étude épidémiologique. ». La Perméthrine est un Pyréthrinoïde de type I. Loin de vouloir lancer une quelconque polémique, nous souhaitons simplement informer sur les risques associés à ces composés chimiques.
Les Organophosphates, quant à eux, sont des substances insecticides extrêmement puissantes, qui ont été utilisées notamment en tant que neurotoxine par l’armée allemande pendant les sombres années du 3ème Reich. Les Organophosphates ont remplacé le DDT, frappé d’interdiction dans les années 70. Ces substances désormais interdites en France.
Mise en garde
Précisons que la fumigation du Hilton a certes été un cas des plus extrêmes en raison de la combinaison quasi-létale Organophosphates + Pyrèthrinoïdes, cependant nous souhaitons attirer l’attention sur le fait que les fumigations ne sont pas anodines et que les Pyrèthrinoïdes sont des substances qu’il convient de tenir éloignées de son foyer. Il existe des solutions écologiques pour éliminer les punaises de lit. Passons maintenant à l’interview.
Traduction de l’interview
Ana María de la Torre : « c’est vrai qu’ils nous ont empoisonnés comme des punaises de lit ».
Victime des produits chimiques. Elle a « ruiné » sa santé en faisant le ménage dans un hôtel de luxe. À 61 ans, cela fait 13 ans qu’elle cherche à faire justice.
Par Gemma Tramullas, Barcelone.
Ana María arrive au rendez-vous accompagnée de sa fille et de son gendre. Depuis son intoxication aux Organophosphates en 1999 sur son lieu de travail, sa santé ne lui permet pas de se déplacer sur de longues distances. Elle amène avec elle un dossier avec des centaines de rapports juridiques, techniques et médicaux.
– Il y a beaucoup de bruit dans la rue, pourquoi ne pas entrer dans une cafétéria ?
– Je préfère que nous parlions dehors, si je vais à l’intérieur, il est possible que je ne me trouve pas bien. Je prends 15 médicaments par jour. Et vous savez quoi ? Cinq d’entre eux sont pour la dépression. Je vous en ai apporté la liste au cas où.
– Avant de tomber malade, combien en preniez-vous ?
– Juste ceux pour la tension
– Et aucun pour la dépression ?
– Aucun, je ne croyais même pas à la dépression. J’ai toujours été une personne qui a cherché à faire avancer son foyer. À 8 ans, j’ai pris en charge mes 3 frères et sœurs, la plus petite avait 6 mois et puis j’ai commencé à travailler.
– Que faisiez-vous à cet âge ?
– Femme de ménage. Quand je ne m’occupais pas de mes frères, je nettoyais des maisons. J’allais à l’école quand je pouvais, mais je n’ai jamais passé d’examen. J’ai obtenu mon certificat d’étude à 15 ans.
– Quand a commencé votre calvaire ?
– En février 1999, je suis entré au Hilton Diagonal en tant que femme de chambre, m’occupant de faire les lits et de nettoyer les salles de bain. Le 10 mars, je suis retournée au travail après un jour de congé et ils m’ont envoyé nettoyer. Je ne savais pas qu’ils avaient fumigué peu avant, mais je voyais que les gens étaient bizarres : qu’une telle ne se trouvait pas bien et qu’ils avaient donné des gouttes à une autre… « Quelle exagération ! » pensé-je. Et je n’y pas attaché d’importance, jusqu’à ce que j’ai commencé également à me sentir mal quand j’arrivais au travail.
– Quels symptômes avez-vous présenté ?
– Des fourmillements dans le corps et j’avais une sensation d’étouffement, des douleurs dans la poitrine, un épuisement général, mes yeux pleuraient, je ne voyais pas bien, et j’avais des oublis… Ils m’ont dit aux urgences que c’était une crise d’angoisse. Je passais toute la journée au lit et les symptômes s’aggravaient. J’ai été arrêtée pendant 3 mois et j’ai repris le travail, mais je n’en pouvais plus. En 2002, a été déclarée mon invalidité pour accident du travail.
– Pourquoi est-ce qu’ils fumiguaient ?
– Pour les punaises de lit. L’inspection du travail a trouvé 17 Pyrèthrinoïdes dans l’hôtel.
– De quoi s’agit-il ?
– D’un insecticide contre ces bestioles, en plus des organosphosphates. Un des nombreux médecins que j’ai consulté m’a dit : « vous savez ce qu’ils vous ont donné ? Du gaz innervant : le même que les nazis utilisaient pour tuer les juifs. »
– Les organosphosphates étaient utilisés comme arme chimique puis comme pesticides.
– Mon amie Lola, qui est l’une des 14 femmes qui ont été intoxiquées au Hilton, disait qu’ils nous avaient amené à la mort comme des punaises de lit. Et elle avait en partie raison.
– En partie ?
– J’ai trouvé cela très fort, mais Lola est morte d’un cancer du poumon en 2006, 2 mois après avoir gagné son procès. Elle avait 49 ans. À la médecine du travail, ils lui ont dit qu’elle avait tous les éléments pour avoir un cancer. C’est inhumain. C’est vrai qu’ils nous ont empoisonnés comme des punaises de lit. Lola avait raison.
– Et vous, comment vous sentez-vous ?
– J’ai développé une pseudo tumeur cérébrale et j’ai été opérée en 2001, ils m’ont implanté une valve : je porte un tube qui parcourt tout mon dos et un drain dans le ventre. En 2006, j’ai été diagnostiquée avec fatigue chronique et fibromyalgie de niveau 3.
De plus, mes défenses sont basses et je fais de nombreuses intolérances, je dois me doucher avec du gel pharmaceutique et je ne peux pas utiliser de déodorants ni de parfum. C’est pour ça que je n’ai pas voulu entrer dans la cafétéria, en fonction des produits chimiques avec lesquels ils nettoient, je pourrais me sentir mal.
– Malgré tous les rapports médicaux, votre invalidité pour accident du travail a été levée en 2009.
– Un docteur a estimé que je me portais comme une fleur. Si j’étais en si bonne santé, est-ce que je prendrais 15 médicaments ? Ça m’a mis tellement en colère que je me suis effondrée et j’ai été admise à l’hôpital psychiatrique pour cause de dépression. Mais quand la porte de la chambre s’est fermée, je me suis dit à moi-même : « Ana, centre-toi, ta famille ne mérite pas cela. »
– Jusqu’où pensez-vous aller ?
– J’ai demandé à mon avocat de faire des photocopies de tout le dossier. De mon côté, j’irais jusqu’à la Cour Européenne des droits de l’homme à Strasbourg. Je ne resterai pas tranquille, je vais faire du bruit, rien ne m’en empêchera.
Ça fait froid dans le dos. Comment ont-il pu utiliser un produit dont on connaît l’extrême toxicité depuis les années 30 ?! La vie de cette pauvre femme est maintenant fichue… Une pensée pour elle…
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Le prestataire qui a fait la fumigation est un voyou, il ne mérite absolument pas le droit d’exercer. Quant au Hilton, sa direction aurait dû se renseigner, il en allait de la santé de son personnel. Mais bon, on sait très bien comment ça se passe à ce niveau…